Ilustrado - Michel SYJUCO
C’est la présentation ci-dessous qui m’a donné envie de vous le proposer, je cherchais un auteur asiatique qui ne soit ni chinois, ni japonais et j’ai choisi Michel Syjuco pour découvrir avec vous un auteur Philippin, je n’ai pas été déçue, quel talent !
« Le
cadavre du grand écrivain philippin Crispin Salvador est repêché dans l’Hudson,
à New York, et le manuscrit du livre qu’il était en train d’écrire a disparu.
Le narrateur d’Ilustrado, qui, comme son auteur, s’appelle Miguel
Syjuco [voir le prologue], a été
l’étudiant et l’ami de Salvador ; il retourne à Manille pour retrouver le
manuscrit perdu et enquêter sur la vie et la mort de Salvador, à qui il veut
consacrer une biographie. Crispin Salvador n’a jamais existé, ce qui n’empêche
pas Miguel Syjuco, dans son premier roman, de brosser un portrait dense et
émouvant de cet écrivain imaginaire, portrait auquel se mêlent l’histoire et
l’actualité des Philippines, des fragments de la vie de l’écrivain lui-même,
des extraits de sa biographie en cours, des extraits des livres de Salvador... ».
(Site du magazine littéraire, 29/06/2011)
Je ne suis pas
entrée si facilement dans ce roman (je m’y suis reprise à deux fois) tant il a
une forme originale et tortueuse. S’y mêlent, servis par de nombreux
personnages, fiction, politique, réflexion sur la création, sur la transmission,
sur les secrets de famille, sur l’enfance, sur l’amour, etc. Il ne ressemble à
rien de ce que j’ai déjà lu. Ce texte polyphonique et exubérant m’a évoqué un
jeu de l’oie. Comme on sauterait de case en case un peu au hasard on passe d’un
récit à un autre, d’extraits d’œuvres de Crispin Salvador (avec les références
complètes : éditeur, année, etc.) à des interviews de lui, de son enfance
à celle de Miguel le narrateur, du récit des rêves du narrateur au récit de ce
qu’il vit aux Philippines, de la transcription de mails à des extraits de la
biographie de Crespin Salvador que Miguel est en train de rédiger, de New York
à Manille, du présent au passé. On avance de case en case pour tenter d’arriver
à celle de la vérité. Romans dans le
roman qui forment un patchwork très coloré où se retrouvent pêle-mêle corruption,
drogue, sexe. L’auteur nous propose une construction complexe et brillante avec
aussi une bonne dose d’humour. Erning Isip, personnage comique philippin, est
le héros de blagues qui ponctuent le roman.
Jeu de l’oie,
kaléidoscope, puzzle ou patchwork (je ne sais quel mot choisir et chaque mot
convient) qui m’ont semblé faire écho aux plus de 7000 îles qui constituent la
république des Philippines et à une histoire mouvementée : période
espagnole, période américaine, occupation japonaise, dictature et corruption
jusqu’en 1986, sans parler des typhons et des tempêtes tropicales qui y sévissent.
C’est si foisonnant qu’il est préférable de le lire à un bon rythme sans
l’abandonner trop longtemps au risque de se perdre dans les personnages et dans
la dissémination des différents morceaux qui composent ce roman. Une fois qu’on
a dépassé le côté déroutant et qu’on a intégré la construction baroque de ce
livre audacieux et inventif on se délecte, on a des surprises jusqu’au bout et
on s’attache à cet écrivain imaginaire qu’est Crispin Salvador (ainsi qu’à
l’auteur/narrateur).