Je vous propose la lecture de
RU, que j’ai aimé pour le trajet de cette femme, mais aussi pour les questions
qu’elle pose concernant l’abandon d’une langue maternelle pour une ou deux
autres langues qui demandent beaucoup plus que seulement parler avec des
nouveaux mots ;
Alors qu’elle est arrivée en Amérique après
avoir quitté le Viêt-Nam à l’âge de dix ans dans un boat-people, puis subi un internement dans un camp de réfugiés
en Malaisie, un femme nous fait part de toute cette aventure et la façon dont
elle a à remettre un tas de choses en questions quand elle découvre enfin le
climat canadien.
Elle nous fait partager à la fois ses
souvenirs, ses impressions face à la peur, la misère, son vécu où l’avenir se
dessine comme problématique.
Elle faisait partie du Viêt-Nam du Sud, issue
d’une famille assez aisée, qui a vu les soldats du nord occuper une partie de
la maison, puis la maison toute entière , ce qui a rendu la fuite
nécessaire.
Ce livre est écrit par petits fragments, d’une demi-page à deux pages, et
est écrit après pas mal d’années vécues au Canada.
Se donne à lire un récit où se tressent des
souvenirs, des impressions du moment où
elle écrit, l’approche d’objets qui viennent faire lien entre son histoire et
son identité, qui s’est modifiée par l’enrichissement qu’à permis l’approche de
plusieurs cultures.
C’est aussi un livre où se pose la question
des mots et de leur écriture.
C’est ainsi que l’on apprend que le mot AIMER
n’existe pas dans sa langue maternelle, ce qui lui pose un problème avec la
nouvelle langue qu’elle doit s’approprier : en vietnamien, aimer se
conjugue de façon relative : le mot diffère selon ce que l’on veut
désigner comme « aimé ».
C’est écrit avec beaucoup de subtilité, de
finesse, de poésie.
RU veut dire le vide et le trop-plein,
l’égarement et la beauté.
On découvre un grand écrivain, qui a pris
une assise lui permettant de nous parler de plusieurs points de vue et nous
fait approcher le Viêt-Nam d’hier et celui d’aujourd’hui.
Geneviève
ru de Kim Thuy
RépondreSupprimerOctobre 2012
Ce livre est un bijou.
Je vais essayer de préciser ma pensée.
Voilà une œuvre qui, au gré de la souvenance, nous balance des morceaux de pur effroi, de perdition, de terreur, de misère mais aussi des petits bonheurs, des joies, des réflexions sur la vie, et nous lisons cela, au fil des pages, et nous fermons le livre, et nous ne sommes pas chargés.
Comment expliquer cela ?
D’habitude, quand nous sommes confrontés à l’inhumain, à la dureté de certains épisodes de vie, nous sommes atteints par un sentiment de colère, d’injustice, de commisération, de chagrin…
Ici, du fait sans doute que tout se mélange, on sort de cette lecture comme régénérée même. Je remercie vivement Kim Thuy de me donner un tel sentiment d’apaisement.
Ce serait comme une méditation réussie. Tout passe dans l’âme, dans la pensée, le pire et l’acceptable, la poésie des petites choses, et on a accepté de tout regarder en face sans jugement, en laissant nos émotions négatives au vestiaire.
Moi je dis bravo !
Si je tente de comprendre pourquoi ça se passe comme ça, je pense que la forme y est pour beaucoup. Cette succession de petits paragraphes, sans titre, sans dessein (ou dessin) apparent sinon de laisser couler la pensée, le souvenir comme ils viennent, c’est extrêmement agréable à lire, pas pesant ; cela supprime même l’attente du suspens comme dans une histoire. On se sent libre et léger.
Pourtant, quelle leçon de vie !
Alberte
C'est un essai, je n'ai pas encore le livre !
RépondreSupprimerPour voir apparaître la zone commentaire, il faut aller cliquer sur le titre du livre à droite. Dans Profil, j'ai choisi Nom / URL pour qu'on puisse savoir que c'est moi qui a mis ce commentaire si intéressant
Evelyne
Un petit livre qui m’a offert cette douce impression d’une discussion avec une amie me racontant son histoire par petites touches ; avec des souvenirs «en désordre» parfois drôles, tendres ou terribles. C’est étonnant comme ce livre a évoqué en nous les souvenirs de rencontres (cf. commentaires d’Odile, d'Évelyne et de Geneviève). Pour ma part j’ai immédiatement repensé à une très jeune femme vietnamienne arrivée (par l’intermédiaire d’une association caritative) dans mon bled (paumé!)d’enfance avec son mari après une aventure proche de celle de Kim Thuy. J’avais 16 ans et je n’étais pas assez à l’aise pour poser des questions mais j’étais impressionnée par ce jeune couple qui reconstruisais tout de a à z et qui m’accueillait d’une manière incroyablement chaleureuse avec des tas de gâteaux et de spécialités vietnamiennes dans un deux pièces quasiment vide. Je devinais ce qu’ils avaient vécu, j'écoutais ce qu'en disaient les adultes, je restais terrifiée par ces mots "boat people" et Ru m’a permis de toucher du doigt une part de leur histoire.
RépondreSupprimerCette manière d’alterner la joie et l’horreur m’a semblé tellement proche de la vie, tellement représentative de cette énergie qu’ont parfois ceux qui ont tout perdu sauf la vie et qui apparaît là dans chaque petit chapitre.
J’ai aimé ce qu’elle dit sur Granby et le fait qu’elle l’écrive en français comme un hommage à ces enfants et à ces hôtes québécois, à qui elle doit son passage de l’enfer au « paradis terrestre ».
J’ai été impressionnée par sa résistance, sa force vitale, ce courage de réapprendre sa langue maternelle, cette transformation positive. Kim s'arrête à des petits détails qui donnent une grande force à son témoignage plein d’espoir et de force.
Cette manière de passer d’une sensation à une autre, de l’enfer à la vie, cette envie d’aller de l’avant qui transpire dans les mots de Kim forcent le respect. Une manière singulière et belle de témoigner, et qui m’a évoqué la résilience dont parle si bien Cyrulnik.
Ce petit livre (j’aime les livres de moins de 200 pages !) magnifique m’a donné envie de rencontrer l’auteure, de m’asseoir avec elle pour boire un thé et l’écouter me parler de sa mère, du Québec, du Vietnam, de ses enfants.
Catherine
J’ai relu, après cette lecture, la préconisation de Geneviève, et les commentaires d’Alberte et de Claire. C’est intéressant pour moi car ça me permet de réfléchir sur le pourquoi je n’ai pas tant aimé ce livre. D’accord, c’est dit avec justesse, par touches délicates, par petits fragments comme dit Geneviève ; la lecture est aisée, associant par moments les images à des sentiments d’horreur, de compassion ou d’empathie. Il y a un peu de Philippe Delerm dans ces souvenirs du quotidien qui marquent des moments, des transitions, des pertes.
RépondreSupprimerMais je garde cependant un sentiment un peu vide, un peu « en creux » de cette lecture. C’est tellement des touches, des petites griffes, que le souvenir va s’estomper dans peu de temps de ma mémoire. Je n’aurai pas de cicatrice.
Et je pense que ces histoires d’immigration non volontaire, avec des changements astronomiques dans la façon de vivre, doivent provoquer d’énormes cicatrices.
J’ai eu au cours de ma vie en région parisienne, dans les années 80-90, deux amis vietnamiens, de deux générations différentes. L’un de mère vietnamienne prostituée, de père inconnu, né à la fin des années 40 (le Vietnam est alors sous occupation française, - c’est encore l’Indochine -, ramené en France dans une famille d’accueil (elle aussi vietnamienne) vers l’âge de 10 ans ; l’autre, de la génération boat people, l’exact jumeau de l’écrivaine. Fils ainé d’un très grand mathématicien universitaire, d’une famille très riche, il n’a eu le choix que de partir (et son périple de six mois à travers les mers relèverait d’un film d’action avec pirates, viols… si ce n’était hélas que la réalité des années 1985 – 90 dans cette partie du monde) ou de faire son service militaire en déminant des terrains ; père enfermé dans un camp de rééducation, fratrie décomposée. Ses parents ont tout fait pour qu’il parte, en en sachant pas s’il allait s’en sortir.
Ces deux personnes étaient intellectuellement, caractériellement à l’opposé ; la première comme trop marquée par la honte, le désir de ne pas être, la peur d’exister ; l’autre par une volonté féroce de mordre la vie, le sentiment que l’avenir lui appartenait, parce qu’il avait réussi à s’en sortir.
Le premier vit encore, petitement, accompagné par l’alcool en région parisienne ; le second, après avoir tout fait pour ramener un à un ses frères et sœurs en France, est retourné au Viêt-Nam construire une société d’informatique.
Je vous raconte cela pour vous témoigner que l’histoire de cette fille me renvoie à plein de souvenirs ; j’ai vécu quasi quotidiennement avec ces deux personnes (nous habitions la même tour d’immeuble, et les habitudes sociales collectives étaient très fortes à l’époque) ; pour raconter leur histoire, je ne peux que lire une écriture qui s’apparente à un cri, une gifle, un choc. Ces vies sont des ouragans destructeurs .
Je crois que c’est ce télescopage qui m’a du coup laissé un peu froide sur la portée de ce récit, à cause de la forme de cette écriture. Je ne ressens pas le sentiment d’apaisement d’Alberte, mais plutôt le sentiment que l’écriture n’est pas à la hauteur du récit de vie.
Mais c’est très personnel.
Evelyne
Octobre 2012
Bien contente de ta réaction, Evelyne, parceque j'étais très ambivallente quant à cette préconisation.
SupprimerJ'ai eu la même réaction que toi:quand j'ai cherché autre chose que "le dit de Tiany"(comme ça, vous l'avez vraiment, le titre qui m'est sorti du coeur à notre réunion), j'ai cliqué "Asie,roman", dans mes documents, ce livre est sorti, avec ce que j'avais écrit à l'époque pour moi.
Je ne me souvenais absoluement pas de ce livre, et comme je l'avais donné, je l'ai racheté pour suivre vos commentaires.
Pour commencer, oui, je l'avais oublié, mais il avait dû tellement avoir du mal à s'inscrire, que j'ai découvert qu'une de mes phrases de ma préconisation n'est pas de moi, mais un bout de phrase du quatrième de couverture ou d'un commentaire de journal!
Quand je fais ça, c'est que je n'arrive pas à retrouver vraiment ce qui est dit dans le livre.
Ceci dit, à la relecture, il y a de toutes petites choses qui parlent du désastre qu'est une telle aventure, mais pour moi aussi, ça me parait pas abouti, à peine effleuré.
Pour ma part, j'ai retrouvé en lisant ce livre la drôle d'impression que j'ai eu quand nous avons hébergé par deux fois une étudiante vietnamienne, dans ces dix dernières années et elles avaient toutes les deux autour de 23ans, et étaient bénéficiaires du meilleur, puisqu'elles étaient en thèse de français, mais résidentes à ¨Hanoï, venues en France que pour l'été.Et bien quand nous les avons questionnée à propos de ce que le Vietnam a subi de la part de la France, entre autres, la première a dit:'nos parents ne parlent pas de ça", la deuxième:"je ne sais pas de quoi tu veut parler".
Terrible chappe de plomb sur un élément de la mémoire collective ou évitement de quelque chose qui risque d'entrainer trop loin la conversation? je ne sis pas.
En tous cas, cela n'avait pas exactement à voir avec Kim, qui est de la génération de leurs parents,et qui, elle,a subi l'horreur, et l'horreur entraine l'effroi.Là aussi, impossibilité de penser.
Alors, ces petits textes d'une page ou deux, ne sont-ils pas une façon de toucher du bout des doigts, ou de la plume, ce qui est trop lourd?A chacune de donner son sentiment!G
Bonjour,
RépondreSupprimerJe suis surprise de la tournure des débats autour de « Ru », de Kim Thuy.
J’ai l’impression que chacun d’entre nous mélange des éléments de son histoire personnelle avec ce que nous dit ce livre… et je vais essayer d’apporter mon grain de sel.
D’abord, mes circonstances de lecture : on m’a offert ce livre en 2010, après que je me sois cassé une vertèbre. J’étais donc cassée et en convalescence. Ce livre m’a renvoyée à mon passé de formatrice auprès des travailleurs étrangers, un passé tant aimé, auprès de réfugiés, notamment les beot peaple dans les années 84-85 et suivantes… J’ai rencontré beaucoup de ces Vietnamiens rescapés, mais aussi des Laotiens, des Cambodgiens…
Et cela me renvoie aussi à un passé plus lointain : ce que mon père, prisonnier de guerre six ans dans les fins fonds de l’Autriche m’en a dit : rien ! ou si peu de choses : « je faisais un gâteau au chocolat à mes camarades ». Tu parles, il a perdu ses dents et ses cheveux… et s’il a fait un ou deux gâteaux approximatifs en six ans, je veux bien me faire nonne….
Mes stagiaires, comme mon père, parlaient peu, ou pas, ou seulement en choisissant soigneusement des moments, de ce qu’ils avaient vécu. Tous – et c’est ça qui me paraît essentiel – savait que cela ne se transmet pas, ne se comprend pas, quelle que soit la bonne volonté. On peut ajouter, dans certains cas, pas tous, que cela correspond aussi, assez sûrement à une volonté de leur part de passer à autre chose.
Cela me ramène à notre auteur, une jeune femme : la volonté de vivre, de passer à la suite, je n’ai pas dit d’oublier, elle ne le pourra pas car c’est inscrit en elle, mais ce que j’entends, moi, c’est qu’elle choisit de s’appuyer sur des moments d’énergie, de vitalité pour passer à la suite de sa vie, la construire, ou que, quand elle évoque les choses douloureuses, elle ne peut pas s’arrêter trop longtemps dessus… au risque d’y rester collée (c’est moi qui le dit, pas elle).
Bonsoir et à la prochaine.
Odile
Le commentaire d'Odile me fait rebondir sur Semprun avec "l'écriture ou la vie" que nous avait fait lire Claire. Cette impossibilité d'écrire, de dire si on veut continuer à vivre, peut-être aussi que ces "touches" sont de cet ordre.
SupprimerEvelyne
Commentaire de Claire à propos de RU de Kim THUY
RépondreSupprimerL’année 2012-2013 des Pisteurs commence bien !
Décidément j’éprouve une fois encore que la lecture est une rencontre entre un écrivain et ses lecteurs. Kim Thuy me parle particulièrement. Un séjour en Malaisie dans les années 80. Quelques jours passés au bord d’une plage dans des bungalows. Impossible de dormir quand je découvre que nous sommes à quelques centaines de mètres d’un camp de boat people. Kim Thuy met des mots sur les images qui me traversaient il y a 30 ans.
Geneviève parle de poésie. Je partage complètement son point de vue. Certains passages sont empreints d’une grande musicalité. Il m’est arrivé de compter les pieds de certaines phrases, elles ressemblaient à des alexandrins.
J’aime particulièrement la façon dont elle mêle en permanence les sensations physiques et les émotions, les souvenirs d’enfance ancrés dans son corps.
Pas de pathos. Elle parle avec une grande simplicité de sa vie quotidienne, des gestes, des odeurs des aliments, de leur consistance, de leur cuisson, de la manière dont ils sont cuisinés, la place des enfants dans la famille, les gestes d’affection et de tendresse, tellement différents des nôtres, occidentaux. J’ai lu ces pages courtes, bien souvent deux fois de suite, pour m’en imprégner.
Elle parle vraiment bien du malaise des réfugiés enfants. Déboussolés du fait de la méconnaissance des codes de la vie quotidienne du pays d’accueil, qu’on intègre en général dans la petite enfance. Et aussi son malaise de jeune fille soumise à deux cultures. Son besoin de retourner dans le pays qu’elle a quitté trop jeune, pour comprendre, pour compléter la con- naissance intuitive qui s’était imposée à elle jusqu’à 10 ans, l’age de son changement de destin.
Les comparaisons de langues, des accents, du vocabulaire, des mots et de leur signification. Passionnant. De même que ses réflexions sur l’évolution de la langue sous l’influence de la situation politique, démographique et sociale.
Merci Geneviève !
J'ai énormément aimé ce livre, distillant par petites touches pudiques la vie de cette femme et de sa famille.Le parti pris de petit "récit" donne de la force à ce texte dans lequel les évènements sont racontés "en creux" laissant le lecteur à son son imagination. Belle découverte...
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