
L'histoire est celle d'un homme
au passé plus que trouble, qui s'engage comme ouvrier sur un chantier pour
construire un barrage dans une montagne très isolée. Or, il y a un village dans
la vallée qui va être englouti. C'est donc le contact – ou plus exactement les
difficultés de contact - entre l'équipe de travail et les habitants, qui fait
l'objet du roman.
Le côté très sombre de cet auteur m'apparaît vertigineux et
me crée un grand trouble.
Au fur et à mesure du texte, les contrastes se révèlent de
manière très violente : la splendeur de la nature, entre eau et
brouillard, et son abominable érosion par l'homme, la souffrance individuelle
et collective, la bêtise et l'intelligence, la vie et la mort. La manière dont
l'auteur nous fait petit à petit comprendre les réactions de ces habitants de
ce village si spécial, est magnifique.
C'est écrit au couteau, mais avec infiniment de nuances, et
la mort peut être tragique, ou vengeresse, ou libératoire, en étant incarnée par un
squelette éternellement suspendu à un arbre, ou dans un petit sac au fond d'une
poche, ou dans un ruisseau.
J'aime beaucoup ce héros anti héros, qui se déteste. Le voir
plonger dans un monde qui pourrait aussi
bien être qualifié de très réaliste que relevant du registre du mythe éternel, m'a séduite.
J'aime beaucoup l'intemporalité de cette histoire et de
cette écriture.
Pour moi, un texte fort.
Anny Le 7/06/2014 .
RépondreSupprimerJ'ai adoré d'emblée ce petit livre avec cette brume tout le temps présente et cette eau qui devait engloutir tout un hameau .L'attitude de méfiance et de peur qu'ont que ces ouvriers qui feront le barrage , leurs interrogations sur le monde de vie des habitants qu'ils voient de haut (au sens propre comme au figuré ) dans cette forêt touffue et peu accessible . Et la façon dont ils sont observés et on les sent très vite je ne sais pourquoi très futés ces petits villageois qui vivent en autarcie et laissent pousser la mousse sur leur toit ....
Ce personnage énigmatique mais attachant avec sa façon parfois brutale de nous dire qu'il garde( au fond de son cœur )les doigts de pied de sa femme !! "Puissiez vous vivre des jours paisibles"..
On marche avec lui ,on le suit , doucement , on entend les bruits sous la tente , la fatigue de ses coéquipiers .On dirait parfois qu'il réfléchit malgré lui ou que la prison la fait réfléchir on comprend la douleur de cette trahison de son épouse , la violence envers elle un peu moins et la description du squelette m'a glacé !!!
Le stratagème des ossements dans des boites blanches qu'ils véhicules comme des petites lanternes tout au long du chemin offre une belle image .Très bon parallèle avec sa propre boite !!! Et le passage où il enterre la jeune femme par respect et ce que font après ses habitants est intéressante , qui devient le lien entre lui et eux .
Le départ des gens du hameau au fond d'une autre forêt au mépris de l'argent et d'une autre vie plus confortable matériellement que la leur est une belle leçon de modestie ;
Biz
J'ai aimé ce livre, énormément.
RépondreSupprimerUn commentaire me parait superflu après tant de poésie et d'images qui vous envoutent.
Ce village, et sa répétition, comme une pendule qui marque le temps, arrêté pour ces hommes qui travaillent et sont pris dans l'engrenage de la rentabilité.
Et un tas d'autres choses , que je veux vous laisser découvrir, les lecteurs, entr'autres cet homme, le narrateur - témoin qui va cheminer à travers la brume de la réalité et de ses souvenirs...Un très bon livre!Merci.
J'ai beaucoup aimé ce livre: la description de cette vallée avec ses brumes s'effilochant sur les cimes des arbres ou sur les montagnes, l'eau qui ruisselle de la montagne, la sensation d'humidité, les couleurs des saisons. De plus, la vie paisible de ce village n'a cessé de m'intriguer...y était-il nombreux, comment était il organisé? Ce n'est que peu à peu que l'on découvre leurs manières de vivre, par petites touches aux moments cruciaux: la reconstruction des toits, le transport des ossements. J'ai aussi trouvé intéressant la transformation subtile du héros du livre, qui au contact des lieux et indirectement de ce village, va intégrer peu à peu son geste envers son épouse, surtout, il me semble au moment où il enterre la jeune femme. La fin du livre est poignante avec le départ des habitants vers un lieu inconnu, enfoui dans la forêt. Livre magnifique, plein de poésie.
RépondreSupprimerC’est déjà Evelyne qui m’avait fait découvrir ce livre il y a quatre ans… Je l’avais énormément aimé, je ne l’ai pas relu mais je me souviens très bien de cette ambiance d’eau, de pluie, de brouillard et de mondes qui s’opposent mais, néanmoins, un « pont » se créera entre le narrateur et le village.
RépondreSupprimerCe livre déclenche des images : celle de la vallée, de la brume, du village en contrebas et, surtout, celle plus forte que tout, de ces habitants qui s’enfoncent plus profond dans la forêt, contrairement à ce que tous attendent d’eux. Une absorption, une osmose avec la nature…, c’est impressionnant, cela secoue.
On sent le choc des civilisations et combien une, dans le silence mais par ses actes, sans paroles, interpelle l’autre… et nous-mêmes.
Le convoi de l’eau de Akira Yoshimura
RépondreSupprimerJuillet 2014
Ce livre a été une très grande surprise pour moi.
Je l’ai lu d’un bout à l’autre dans cet état d’étonnement heureux. Allant de page en page en me demandant quelle serait la suite.
Tout m’a surprise.
Le passé du narrateur qui tout d’un coup surgit brutalement à la page 33 et dont on n’imaginait pas la violence, jusque-là tue.
La situation de ces ouvriers de barrage qui organisent au fil des jours une vraie vie, là, dans le plus hostile des environnements.
La présence dans le hameau, plus bas, de cette population retirée, si tenace, silencieuse, invisible parfois, non assujettie à cette nouvelle présence qui pourtant leur cause du tort.
Le tricotage auquel s’adonne l’auteur entre l’histoire du narrateur et les gens du hameau. Ce savant mélange d’une histoire personnelle à une histoire collective, ces parallèles entre des situations pourtant forcément dissemblables à quelques bouts d’os près !
Et puis ces passages où l’auteur passe de phénomènes doux et poétiques : le brouillard, les bains chauds, le petit grelot des os au fond de la boîte, les moments de rêverie, d’observation, de méditation presque, à des faits beaucoup plus rudes, violents, ahurissants, inattendus : les explosions et leur conséquence, le viol et le suicide, cette vie collective des ouvriers qui enlève toute intimité, rude, si rude…
J’ai aimé l’amour du narrateur pour les lumières. Comme Apollinaire, il peut se réjouir d’une atrocité parce qu’elle produit un effet magique et splendide. Pages 35 et 36 : lumières terribles de la guerre, lumières de paix retrouvée.
J’ai remarqué aussi à plusieurs reprises l’effet visuel magnifique d’une même couleur grâce à un rassemblement : les boîtes blanches, les casques jaunes, les os blancs tous alignés, la terre noire, les feuilles pourpres. Cela devient un tableau éphémère mais fort.
Mais ce que j’ai éprouvé aussi c’est l’effet chaotique de cette écriture. Je la trouve ressemblante à ce paysage qu’ils traversent : irrégulière, dure aux pieds, puis soudain plus égale… Et ça m’a plu comme ça.
On ne sait jamais comment l’auteur va enchaîner le récit. Il y a des surgissements, des comparaisons peu prévisibles, des arrêts sur image.
A la fin, on est comme le narrateur : on sent qu’avec le départ, la disparition des gens du hameau, on perd quelque chose de fondamental, de consolant, de précieux.
Il n’y a qu’une phrase que je n’ai pas comprise, un mot exactement dans cette phrase : (p 173)
« Les yeux écarquillés, je l’ai accompagnée. (Il veut parler de la procession). Soumise à la fatalité des hommes déchus, elle s’enfonçait encore plus profondément dans la montagne, à l’abri des regards. »
En parlant d’hommes déchus, ça m’a fait penser à une sorte de péché originel que ces gens porteraient de toute éternité et qui expliquerait qu’ils vivent cachés. Or, ce n’est pas cette lecture que j’en ai eue tout le long du livre.
Si vous pouvez m’éclairer ?....
J’ai été très contente de découvrir cet auteur, pourtant égal de Mishima semble-t-il. A suivre… Grand bonhomme.
Pour moi, cette époque-là, reste un phare de la littérature japonaise.
Sur la question des hommes déchus, pour moi ils sont déchus de leur terre par la société d'aujourd'hui et s'enfoncent dans le mystère de la forêt et des origines.
SupprimerJe pense que ces hommes qui partent vers plus d'isolement ont compris que le progrès n'est pas pour eux. Ils ont choisi délibéremment de vivre autrement, sans tenir compte de la société de progrès (d'ailleurs où est le progrès quand il s'agit de mettre sous l'eau un village entier..). Je trouve pour ma part que ce départ vers plus de dépouillement est la vraie leçon du livre...
SupprimerOui, j'ai compris que ces hommes n'avaient plus leur place dans la société d'aujourd'hui.Hélas!
SupprimerMoi aussi j’ai beaucoup apprécié ce livre. Principalement l’omniprésence de l’humidité - les nuages, le brouillard, la brume du matin et du soir, la pluie, la neige, l’eau qui ruisselle sur les pentes… jusqu’à ce corps de femme pendue à l’arbre (roi au japon) qui au fil des saisons se couvre de mousse, de verdure et finit par se confondre avec la terre. Quelle force d’évocation ! J’ai été emportée par la poésie de ce livre.
RépondreSupprimerJ’ai aussi retrouvé ce que j’aime dans la haute montagne quand notre regard s’aiguise pour voir loin, très loin… et avec l’habitude la capacité à observer longtemps, on finit par s’autoriser à deviner ce qui se passe dans les hauteurs ou dans le fond des vallées, même jusque dans les maisons ! Car ces deux communautés s’observent en silence, se devinent, tentent d’interpréter ce que vit et ressent l’autre, ce différent, ce total inconnu. Pas d’échanges de paroles entre eux durant cette cohabitation dans la montagne. Tout est dans l’interprétation des gestes, des mouvements de l’autre. Cette écriture ests vraiment intéressante.
Comme vous toutes j’ai été très sensible à l’histoire de cet homme et sa progressive transformation intérieure. C’est très beau.
Je ferai connaître ce livre autour de moi.
Sur la question des hommes déchus du village, je pense aussi que c'est l'opinion et de l'auteur, et du narrateur : déchus face à la société d'aujourd'hui, face au "progrès" inexorable,...
RépondreSupprimerSur le titre "le convoi de l'eau", je suggère une hypothèse : Le "convoi" c'est cet acheminement organisé par l'homme moderne de cette eau qui est omniprésente dans le texte, Elle représente à la fois la nature (la pluie, la rivière, les nuages,la brume...) et ce qui fait que les techniciens violent cette nature : la construction d'un barrage. Il y a donc une tentative de tout dominer traduit par le terme de "convoi".
A vous de continuer....
Effectivement, c'est très juste, et je n'y avais pas réfléchi de façon à donner à ce titre une dimension métaphorique.Merci, Evelyne!
SupprimerDéchus de leur terre mais pas dans leur tête puisqu'ils y retournent vainqueurs ,une belle leçon d'humanité !
RépondreSupprimerbiz
Anny
Anny
RépondreSupprimerdéchus de leur terre mais pas dans leur tête en tout cas ! Belle leçon d'humanité !
biz
J’ai beaucoup aimé ce livre, je dirais même que je l’ai dévoré (alors que j’ai si peux de temps a consacrer à la lecture depuis quelques temps hélas), j’étais là bas dans la montagne, la brume, la pluie, le son du torrent. Et dans cette relation silencieuse entre ces deux groupes d’humains autour d’une destruction de l’un par l’autre évoquée avec force. Merci Evelyne de m’avoir fait découvrir cet auteur !
RépondreSupprimerAlors, j'ai demandé à une japonaise, Akiko, de traduire :
RépondreSupprimermizu no soretsu, le titre du livre. Elle m'a répondu :
convoi funèbre de l'eau ou cortège funèbre de l'eau.
Je comprends qu'en français les éditeurs n'aient pas voulu inclure le mot "funèbre"; ça n'incite pas à acheter le livre.
Mais il y a bien cette notion de l'acheminement de l'eau comme le dit Evelyne.
Ce qui faisait problème dans ma tête, c'est l'idée du barrage qui pour moi représente au contraire le maintien de l'eau dans un endroit précis. On ne l'achemine pas,on l'arrête.
Bon, mais c'est un détail.
Quant au sens de "hommes déchus"; oui je comprends bien le sens que leur donne Odile ; déchus par rapport à la société d'aujourd'hui.
Mais dans le sens commun de "ayant perdus leur dignité", il me semble que c'est le contraire que nous comprenons dans le livre. Ces villageois nous paraissent plein de dignité, ne demandant rien à personne et s’accommodant en silence du tort qu'on leur fait. Ils s'en vont en ayant sauvegardé ce qui leur paraissait essentiel. Bon, en même temps, c'est le prix de l'immobilisme.... Il y aurait beaucoup à dire. J'arrête.
Un livre magnifique qui m’a laissé une forte impression, qui quand j’y repense, me fait à la fois « froid dans le dos » et chaud au cœur. Je m’y suis plongée sans presque le lâcher.
RépondreSupprimerJ’y ai trouvé une tension incroyablement bien décrite, une écriture qui tient en haleine. Ce croisement des deux histoires, celle de cet homme meurtrier et celle de ce peuple qu’on déloge, est amené avec subtilité. Les effets d’échos sont saisissants mais jamais « lourds » :
- un ancien prisonnier qui a tué par passion caché dans un groupe d’ouvriers face à des habitants d’un village reculé et coupé du monde, qui semble accepter la destruction de leur territoire. Avec talent l’auteur évoque le « choc des cultures » entre japon moderne et ancestral,
- quelques os de sa femme gardé au fond du sac face à son désir (mené à bien malgré les obstacles) de sépulture pour la jeune fille violée,
- son humanité, soudain, qui s’exprime face à l’observation au quotidien de ce village presque fantomatique et de ses habitants aux coutumes étonnantes et incompréhensibles à l’observateur ; - les montagnes décrites de façon splendide, les paysages à la fois menaçants et beaux face à la violence des ouvriers venus de la ville et de leur projet,
Deux mondes que tout opposent et pourtant cet ancien prisonnier va y trouver du sens, va nous faire partager son passé et va se montrer sous un jour bien plus humain que ses collègues. Une sorte de rachat du crime horrible que la passion l’a amené à faire.
Ce roman étonnant et poétique est une découverte que je qualifierais d’exceptionnelle avec une écriture singulière et envoûtante. Catherine
Le convoi de l’eau
RépondreSupprimerAkira Yoshimura
Commentaire olaf
Je vous disais, dans un courriel récent, que je lisais ce livre par petits bouts… Hier, j’ai tout repris et j’ai lu le livre en entier, quasiment d’une traite ( ! )… C’est absolument splendide…
Quatre récits entremêlés : la conversion du narrateur, le peuple « invisible » et pourtant si présent, la relation entre la « dame en blanc » et l’ouvrier niais, enfin, tous ces mercenaires du modernisme qui sont, comme le chœur antique, en fond de scène…
En partant dans ces montagnes, le lecteur ne sait pas où il va ; il part, avec dans sa besace, le lourd passé (c’est un euphémisme) du narrateur. Que va-t-on en faire ? En quoi nous intéresse-t-il ? C’est toute l’histoire qui nous donnera réponse. Mais cette réponse ne surgira que par bribes, à travers des évènements, imprévisibles. Un suspens permanent.
Durant mes deux heures de « relecture », j’ai vécu les saisons, mouillé dans les pluies torrentielles, j’ai entendu tomber les toits moussus, j’ai vu le corps de la femme qui se balançait au bout de sa branche, je l’ai imaginé devenir à la fois verdâtre comme un objet qu’on abandonne dans le jardin pendant tout un hiver, j’ai admiré le courage-ou l’inconscience- de celui qui enterre la femme pour terminer sa rédemption, j’ai vu le cortège des boites blanches partir vers « l’encore plus isolé… » Quelle belle fin. On ne pouvait rêver mieux et que d’enseignement de ce peuple qui fuit pour toujours rester lui-même, de plus en plus lui-même.
Merci, merci mille fois pour cette recommandation de lecture, Evelyne. Un texte fort, écris-tu dans la recommandation. Oui, vraiment très fort… Vive les pisteurs.
Rennes, le 12 aout 2014
Bon et bien tous vos commentaires me donnent envie de le relire....et d'en lire d'autres de cet auteur. Quelle magie ce bouquin !
RépondreSupprimerAnny
RépondreSupprimermoi je vais essayer de ne pas me répéter je l'ai déjà fait deux fois !!!
Mais je vais aussi essayer d'en lire du même auteur
Biz à vous