Certaines n’avaient jamais vu la mer
par Julie
Otsuka
Très beau livre, qui aborde
une réalité peu connue : le statut des femmes japonaises au début du XXème
siècle, et la solution qui leur a été donnée comme avenir. Beaucoup
d’entr’elles, ont été mariées par correspondance avec des Japonais émigrés aux
USA.
Dans ce texte, il y a d’abord
la part de rêve et de peur.
Puis la traversée en bateau.
Puis la découverte de la
réalité : le nouveau mari, le travail, les conditions de vie, le place
donnée à ces gens dans la société américaine.
C’est écrit avec une écriture
haletante, forte, incantatoire, dit le quatrième de couverture. Un ami m’a dit
qu’on pouvait qualifier ce livre de « roman/choral » !
Oui, toutes sortes de femmes
nous sont présentées, et parlent. Et malgré leurs différences, cette écriture
si particulière, fait en sorte de nous faire lire dans la foulée, la réaction
de femmes qui ont échoué dans des milieux différents, mais comme si le
narrateur pouvait être toujours le même. Elles parlent sans que l’auteur aille
à la ligne, et ponctue. Car il y a partout la tromperie et le malheur. Un
livre qui touche, qui frappe, qu’on n’oublie pas. Il a eu un prix l’année
dernière, mais je ne le savais pas, je l’ai pris à la bibliothèque, tout simplement.
Il n’existe pas en poche pour le moment.
L’auteur n’est pas née en
Asie, mais doit faire partie de la génération qui a suivi ; il faut bien
une ou deux lignées pour pouvoir parler de cette histoire, et un chemin
d’écriture pour y arriver.
Je viens d’ailleurs
d’apprendre qu’il y en a un second, qui parle en fait de la suite de ce qu’il
se passe pour ces familles emmenées dans des trains de sinistre façon, .Ce
livre s’appelle : « Quand l’empereur était un dieu ». Il a
du avoir la fonction dont je fais l’hypothèse. Je vous en dirai plus après
l’avoir lu et je glisserai ça quand il y aura la place pour en parler, parmi
les commentaires.
Celui-ci est en poche, mais
ne l’ayant pas lu encore, je préconise l’autre !
13/04/2013
J’ai aimé ce livre. Il m’a surprise, alors même que j’étais avertie de son procédé d’écriture.
RépondreSupprimerOui, je savais que Julie Otsuka avait employé ce « nous » collectif pour parler de cet épisode concernant les femmes de son peuple à une époque donnée. Sa grand-mère était une de ces femmes.
Mais alors que ce « nous » pourrait gommer toute forme d’histoire individuelle, c’est le contraire qui se produit. Otsuka semble dresser des listes où personne ne serait oublié. C’est remarquable.
Touchant, attentif, intelligent, sensible, ce livre transmet à coup sûr un épisode peu banal d’un groupe de personnes dont le destin a été plus qu’imprévisible.
J’ai donc aimé le procédé original, l’écriture sobre et riche à la fois, la succession des thèmes.
Le comble de l’émotion pour moi est concentré dans le chapitre du dernier jour. Comment chacun quitte les lieux, différemment, avec ses gestes, ses pensées, ses peurs… Je pourrais le relire indéfiniment.
Et puis, subtilement, le narrateur change d’angle de vue, et c’est du point de vue américain que le dernier chapitre s’écrit, ou comment une présence, même collective, soudain évaporée, s’efface au fil des jours. Si vrai !
Ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est que Julie Otsuka nous donne accès non seulement aux apparences, mais aussi aux sentiments, aux pensées, à la philosophie de certains, et à ce Bouddha qui vient de temps en temps glisser sa présence tutélaire, rassurante, consolante (le titre initial du livre est : the Buddha in the attic, Bouddha dans le grenier). Je préfère pourtant le titre français, une phrase du début.
Oui, livre remarquable. Lecture à marquer d’une pierre blanche.
Comme le suggère Geneviève, j’ai également lu le livre précédent, c’est à dire la suite de l’histoire. Quand l’Empereur était un Dieu. Très intéressant. Construction plus classique. Il s’agit du départ, de l’internement, puis du retour difficile d’une famille.
Mais le livre étant construit d’une manière plus classique, il n’a pas le même impact sur nous. Quoique ….
J’ai trouvé ce livre très beau.
RépondreSupprimerEcrit de façon très poétique l’histoire racontée à travers toutes ces femmes est en parfaite harmonie avec ce style d’écriture.
La fin du livre m’a déçue, l’auteur ne nous a pas épargnés dans sa description des multiples détails douloureux de la vie de ces femmes, et puis tout d’un coup leur dernier jour nous est raconté, leurs multiples façons de partir, mais ce qu’elles vont vivre après nous ne le saurons pas…
L’auteur préfère montrer l’oubli, leurs disparitions du point de vue des Américains. Elle nous laisse penser que la disparition est définitive : « Tout ce que nous savons c’est que les japonais sont là-bas quelque part, dans tel lieu, et que nous les reverrons sans doute jamais plus en ce bas monde .»
J’aurais aimé suivre la vie de ces femmes dans ces camps et leur sortie, ce qui doit être le sujet de l’autre livre de l’auteur.
J’ai lu ce livre cet automne. C’était un cadeau… de bon goût ! J’ai été extrêmement intéressée par la forme d’écriture adaptée à cette odyssée. A priori, il me paraissait quasi impossible d’écrire un livre entier au pluriel, avec des personnages indifférenciés… et de conserver l’attention de son lecteur. J’avais été impressionnée à la lecture du livre d’Annie Ernaux, « Les années » qui emploie ce même procédé d’écriture au pluriel. Cependant, il s’agissait là de l’autobiographie d’une génération, si je peux dire… Là, le « nous » est de fiction. D’autre part, chez Annie Ernaux, on pouvait partager des souvenirs, reconnaître des moments ou des histoires de nos parents, selon l’âge. Ici, on a en prime la découverte d’un épisode de l’histoire du Japon (ou des Etats-Unis) peu connu et l’odyssée bien triste de ce groupe de Japonaises.
RépondreSupprimerJe trouve pas mal que le dernier chapitre se passe de l’autre côté et de l’autre point de vue : ça marque encore plus fort la disparition.
Un bon livre !
Comme les premières pisteuses qui se sont exprimées j'ai apprécié ce livre. Original dans sa forme et intéressant pour moi qui ne connaissais pas l'histoire de ces japonais émigrés en Californie...
RépondreSupprimerJ'ai remarqué que le "nous" passe très bien, même quand lorsque c'est une femme bien particulière qui raconte un événement individuel vécu avec son propre mari, "notre mari" dit-elle. C'est surprenant, mais ça se lit...
Dans les chapitres centraux, je trouve que l'avalanche d'histoires individuelles, nuit à l'ensemble. J'ai l'impression qu'on rencontre tout et son contraire. Oui, comme dans toute société. Il y a des courageux des peureux, des forts des faibles, ceux qui dans le malheur se suicideront et ceux qui feront contre mauvaise fortune bon cœur... Et je trouve que dans le chapitre "les blancs" c'est un peut trop systématique. Quand j'ai vu la montagne de "sources" réunies par l'auteur, je ne suis pas étonnée que, comme dans en peinture, si tout est dit, le tableau manque de relief.
Mais j'ai trouvé intéressante cette histoire particulière d'esclavage, d’immigration, d’essai d'intégration, et de xénophobie au moment de la guerre. Ce que j'ai trouvé de plus original ce sont les chapitres du voyage "sur le bateau", et le départ où tant d'émotion et de poésie transparaît.
Julie Otsuka
RépondreSupprimerCertaines n'avaient jamais vu la mer.
De la part d’olaf
Pour tout dire et le dire rapidement, j'ai beaucoup aimé ce livre et m'y suis jeté avec une grande délectation.
D'abord, parce que je ne connaissais absolument pas cette histoire. Quelle lacune. Ce qui est étonnant, c'est que l'époque n'est pas clairement évoquée, il faut la chercher, mais cela n'a pas d'importance. Cet esclavage moderne est de toute éternité.
Ensuite, je me suis laissé « bercer » par cette lamentation en continue, cet sorte de choeur antique qui psalmodie des situations dont on ne sait au début si celles d'une personnes ou de plusieurs...En fait, ce chant rassemble le malheur de toutes ces japonaises, les accumulent quelque fois jusqu'à l'écoeurement (voir le chapitre sur la première nuit qui nous emmène jusqu'à l'écoeurement). Mais quand on y réfléchit chaque phrase est vraie, miroir d'une histoire qui s'est déroulée.
Enfin, il y a quelques perles de style qui sont comme des fleurs poussées sur un fumier. Je n'en cite qu'une seule, mais elle m'a touché profondément. Quand les blancs viennent détruire le travail des étrangers et qu'il faut veiller toute la nuit dans l'espoir qu'on apercevra les voleurs ou ceux qui viennent mettre le feu aux cabanes, saccager les plantations, la veille est longue et souvent silencieuses « jusqu'à l'aube. Parfois, un bruit nous reveillait en sursaut, mais ce n'était rien -quelque part dans le monde, sans doute, une pêche était-elle tombé d'un arbre- ». Magnifique.
Mais il y a le revers de la médaille. Au bout d'un certain temps, on a compris, on aimerait bien avoir d'autres styles de récit, quitter cette répétition permanente qui finit par lasser. Cette psalmodie est efficace quand on est bien réveillé, mais comme dans la tragédie grecque, le choeur peut nous endormir...ou bien précipiter notre lecture pour chercher autre chose, quitte à ne pas peser chaque mot. Dommage.
Merci pour cette belle préconisation. Quelques heures de bonheur dans ce printemps pluvieux, mais tout compte fait le temps est à l'image de ce livre : nuageux et sombre.
J'ai aussi beaucoup aimé lire cette histoire, et je suis vos commentaires élogieux sur l'écriture. J'ai eu du mal à sortir du bouquin. Et il m'a donné envie de lire le premier.
RépondreSupprimerJ'ai remarqué que l'usage des prénoms pour ces femmes ne vient qu'au chapitre naissances ; avec d'abord "comme" devant. Par exemple, nous "avons accouché, comme Makiyo dans une étable...". Puis l'auteure commence à utiliser les prénoms pour les enfants qui naissent, et enfin dans le chapitre "dernier jour" on a une avalanche de prénoms qui accentue la singularité des réactions de chacune.
C'est bizarre (enfin, moi, ça me fait bizarre!) le plaisir de lecture quand le sujet est tragique, et malheureusement universel.
Bluffée par ce petit livre et ce NOUS qui nous tient en haleine.
RépondreSupprimerUne seule voix, comme un chant plaintif pour dire ce qu’on vécu ces femmes, un témoignage choral qui donnent aux vécus et aux paroles de ces femmes une force étonnante.
Un souvenir historique que ce livre ravive ou révèle dans la mémoire commune. J’avais un peu honte de ne pas connaître ce passage de l’histoire, merci à l’auteure de nous apporter cette vision si sensible, merci à la pisteuse qui nous a fait découvrir ce livre.
Ce gémissement commun, ce cri, cette plainte portés par une écriture forte, donnent à cette vie de labeur une dimension rare. Le racisme, le rejet qui s’ajoutent à la fin à ces vies déjà brisées et dures sont terribles.
C’est un tout petit livre mais qui laisse une empreinte forte, on en ressort pas forcément très fier d’être humain
Un point négatif : je trouve que la couverture du livre n’est pas en accord avec son contenu, (quel rapport entre cette japonaise très sophistiquée dans une pause étudiée et ces femmes aux corps et au cœur meurtris par le travail et les déceptions ?), elle est trop accrocheuse et je n’aime pas quand il y a un décalage entre le fond et la forme. Heureusement que la préconisation de Geneviève m’a permis d’aller au-delà.
j'ai apprécié ce livre par son écriture. En effet, l'emploi du "nous" m'a fait pensé à un chœur antique, chœur "racontant"les espoirs, la désillusion, les souffrances et les horreurs liées à la guerre.De plus, l'accumulation de descriptions ou de mêmes situations accentuent encore cette impression d'oppression.
RépondreSupprimerComme Catherine, je ne connaissais pas cette période de l'histoire...
Belle lecture...
Bordeaux, Port de la Lune ; je migre tranquillement de la place du Parlement, où se trouve l’excellente librairie « la machine à lire », vers les quais. J’aperçois le 3 mats mexicain, le miroir d’eau, et m’installe sur le banc face à la Garonne. Dans les mains, « Certaines n’avaient jamais vu la mer ». J’embarque immédiatement avec les demoiselles japonaises. A la fois avec elles et hors de leur vie, à la fois ici et là-bas, sur cette marge sensible. Un là-bas qui se conjugue au féminin pluriel, océanique puis terrien, près de trente ans s’écoulent. Viennent m’imprégner ces parcours singuliers aux déclinaisons tragiques et plus heureuses, dans ces balises communes d’un mariage qui ressemble à de l’esclavage, les sœurs ainées vendues comme geishas… Cette acculturation presqu’impossible, j’y crois pour les plus chanceuses, jusqu’à la relégation finale à laquelle nulle n’échappera. Déportation de ces familles, internement dans des camps que je savais exister. Peut-être leur résignation vient pour moi comme un point de butée, un impossible à comprendre et aussi les consignes transmises aux ami-es américain-e-s, ceux et celles qui restent, qui ont la chance d’être de vrais américains. Comme quelques-uns de ceux-là, l’envie de protester contre le gouvernement, l’envie de demander des comptes. Comme les enfants qui se rappellent leurs camarades japonais-es, garder un pull, et n’en plus dormir.
RépondreSupprimerJe songe que l’histoire tend à se répéter, j’écoute les enfants des écoles d’Ille et Vilaine, qui témoignent parfois. Leur camarade congolais, la petite voisine birmane, disparus du jour au lendemain, que sont-ils devenus ?
J’ai aimé ce livre. Je le fais maintenant circuler. Car j’ai un rêve : l’impulsion de cette parole chorale pourrait bien produire des effets dans l’ici et maintenant.
Grand merci à vous, pisteur-e-s de livres, à qui je dois cette découverte
Bel été à chacun-e
Marie-Anne